dimanche 4 novembre 2012

Pourquoi le Parlement européen doit rester à Strasbourg

A peine sept ans après sa création, le prix Louise Weiss du journalisme européen n'a suscité que peu de commentaires. Et encore est-ce la plupart du temps pour souligner le mérite d'un de ses collaborateurs. Mais qui est Louise Weiss? La grand-mère de l'Europe fut ainsi surnommée parce qu'elle comprit parmi les premiers l'importance de Strasbourg dans la construction européenne, son rôle au coeur de l'Europe, entre l'Allemagne et la France. Conserver le siège du PE là, c'est aussi se souvenir des tragédies qui ont défiguré l'Europe au moment où s'éteignent les unes après les autres les mémoires de ces événements, phénomène qui s'accompagne comme par hasard d'une renaissance des mouvements identitaires, extrémistes ou appelez-les comme vous voulez...

"A-t-on déjà oublié le conflit dans les Balkans, à une heure et demie de Luxembourg", m'a dit récemment le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, à qui d'aucuns ont décidé de s'en prendre. "Ce conflit témoigne que les vieux démons ne sont pas morts et ne mourront jamais!"

Et si l'on impute souvent la désignation de la capitale alsacienne comme siège du Parlement européen à des considérations purement politiques, on oublie une autre dimension, que l'on qualifierait aujourd'hui de pragmatique: le Conseil de l'Europe avait commencé ses travaux en 1949 à Strasbourg et comme les parlementaires qui siégeaient dans l'assemblée parlementaire étaient aussi appelés à siéger dans celle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), cette dernière fut donc installée là, dans les locaux mêmes du Conseil de l'Europe. Jusqu'à ce qu'ils deviennent trop exigus pour accueillir tous les députés européens et que la construction des bâtiments actuels ne s'impose. A voir cette jolie galerie de photos.

Des arguments facilement contestables

Le 23 octobre dernier, lors de la session d'octobre à Strasbourg, les députés européens ont voté en faveur d'une réflexion autour du siège unique du PE à Bruxelles par le Conseil et d'une étude sur les coûts des différentes options. Rien n'est encore fait mais le soutien à Strasbourg s'effrite, année après année, sous les coups de boutoir de députés britanniques. Quelque part, c'est même assez curieux puisque la plupart des députés européens ont moins de kilomètres à faire pour gagner Strasbourg que pour Bruxelles. Le déplacement des fonctionnaires européens doit normalement se faire par un train spécialement affecté dont l'influence sur un pseudo bilan carbone est donc nulle. Sauf à intégrer le déplacement à bord des voitures aux plaques européennes dans ce fumeux calcul. Il est assez amusant de contaster que pour une fois, les émissions de CO2 rassemblent au-delà des couleurs politiques...

Il n'est pas difficile de balayer chacun des arguments présentés par les chevilles ouvrières du "Single Seat": le Conseil de l'Europe s'accomode par exemple très bien des capacités hôtelières de la ville ou de sa desserte... Idem pour les arguments des libéraux, à la baguette, concernant le dialogue avec les deux autres institutions basées à Bruxelles. Donc, parce que le Parlement européen se déplace trois jours par mois à Strasbourg, le dialogue avec le Conseil et la Commission européen est impossible? Ces deux dernières sont représentés à Strasbourg, pour le Conseil, par la présidence tournante de l'UE, et pour la Commission, par un ou plusieurs de ses commissaires européens concernés par l'actualité - le président de la Commission, José Manuel Barroso, ne détestant pas non plus l'idée de venir briller devant la plénière. Et que tous ceux qui ne sont pas forcément familier des arcanes européennes, tous les moyens d'aborder toutes les problématiques existent aussi bien à Strasbourg qu'à Bruxelles.


Le recours de la France devant la Cour de justice européenne est pendant. Tous les arguments français sont là.

Pas motivés les députés européens?

Abordons le sujet d'une autre manière. Pas motivés, les députés européens, par l'idée de devoir aller de Bruxelles à Strasbourg, qui occupe pourtant une position plus centrale et qui devrait donc être davantage le centre de gravité de l'Union européenne élargie que Bruxelles, qui convient mieux aux Britanniques ou aux élus du Nord de l'Europe et encore, ça doit pouvoir se discuter...

Pas motivés tout court?

Sur le vote du semestre européen, par exemple, 30% d'entre eux n'ont pas voté. 177 n'étaient pas présents et 50 n'ont pas pris part au vote, selon votewatch.eu. Un exemple parmi des dizaines possibles en allant surfer sur ce site que les députés européens ont autrefois voulu interdire parce qu'il met en évidence les propres contradictions de leurs comportements.

Prenez par exemple Edward Mc Millan Scott: jamais là le dernier jour des sessions du Parlement européen, qu'il tombe un jeudi ou vendredi (absent les 26/10, 5/7, 14/6, 24/5, 10/5, 20/4, etc.). C'est à cause du lieu de la session?

Prenez Jean-Luc Mélenchon, fort en gueule dès qu'il s'agit d'Europe. Elu député, il est absent à un tiers de session et ne participe pas à plus d'un tiers des votes. D'accord, il est pris en sandwich entre les deux Le Pen, Jean-Marie, à peine plus assidu, et sa fille Marine, mais à quoi bon mener campagne et ne pas être plus assidu... Remarquez à bien y regarder, Rachida Dati n'est pas loin de ces deux-là, comme Eva Joly, occupée par la présidentielle française au printemps, ou comme Daniel Cohn-Bendit, qui ne brille pas non plus par son assuidité... Tous autant de bons clients de presse pour vanter les travers de l'UE ou les charmes qu'ils lui trouvent...

Une boîte de Pandore

Il y a de nombreux exemples de ce type qui devraient s'accompagner d'une réflexion sur le montant des indemnités qu'ils touchent, à la fois pour leur activité, pour leurs assistants et pour leurs frais. Car si le seul argument qui peut faire du sens: le coût de cette transhumance, alors il faudrait prendre le problème dans sa globalité... Et cela, personne ne s'y est encore risqué! C'est d'ailleurs ce que demandent les députés européens au Conseil avant de revoir la position figée sur le siège des institutions. Et si on parle comptes d'apothicaires, qu'on y ajoute le coût de toute la décentralisation de l'Union européenne au rapport de ce qu'elle lui rapporte.

Personnellement, j'ai tendance à penser que ceux qui se mobilisent autour de la question du siège de Strasbourg sont des irresponsables. Parce que c'est la porte d'entrée à toute une série de mesures de détricotage de l'Union européenne que d'autres, en coulisses, sont en train d'affûter. Or l'Union européenne n'a pas besoin de moins d'Union mais de plus d'Union!

Encore un mot

Encore un mot parce que ce combat est celui de lobbyistes qui, quand le Parlement européen se déplace à Strasbourg, sont moins bien lotis qu'à Bruxelles. Evidemment, personne ne parle de cette problématique non plus. Allons donc voir qui est derrière SingleSeat, en dehors des députés européens:
- Sidley Austin, cabinet de 1.700 avocats dans 18 bureaux, spécialisé dans la régulation financière et ne figurant pas dans le registre de transparence européen. Le cabinet est celui dans lequel travaillait Michèle Obama quand elle a rencontré Barack... Il y a là des experts du "conseil", comme en témoigne cet article. Le cabinet n'hésite d'ailleurs pas à se vanter de ses succès.

- Burson-Marsteller, elle aussi américaine à la base et elle non plus pas référencé dans le registre de transparence, revendique être la plus grosse agence de relations publiques au monde. Pour qui travaille-t-elle? Son site n'est plus à jour de ce point de vue-là mais on y trouvait en 2010 le FDP, par exemple.

8 commentaires:

  1. Excellent, mais Burson-Marsteller est la filiale de WPP, n°1 mondial de la pub et de la communication, un groupe anglais mais avec des capitaux américains importants, bien que je n'ai pas pu trouvé la composition capitalistique.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Troy, je vais regarder le détail de ces sociétés!

      Supprimer
  2. Parfait, Thierry, intéressant et avec plusieurs arguments inédits, complémentaires du rapport de l'Aeje. L'intérêt est que c'est clair et concret, loin de certaines élucubrations académiques qui desservent la cause. Y-aura-t-il une suite ?

    RépondreSupprimer
  3. J'aimerai, oui, Philippe.

    Je vais déjà ajouter l'argumentaire de l'AEJE! Puis surveiller la motivation de la Cour de justice de l'UE qui ne devrait pas tarder à rendre son verdict!

    Merci de vos retours en tout cas!

    RépondreSupprimer
  4. Bravo pour cet article, excellente argumentation et merci pour toutes ces vérités que trop peu de citoyens européens connaissent !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Pierre! Vous le savez, je pense que le Parlement européen doit rester à Strasbourg. Bon courage pour votre campagne.

      Supprimer
  5. Je pense que cet article doit être diffusé largement. D'abord parce que l'argumentaire est excellent et deuxièmemenr car vous mettez le doigt sur de vraies questions. On facebook !

    RépondreSupprimer

Publicité